jeudi 21 mars 2019

La foi chrétienne : une expérience personnelle enracinée dans une réalité objective


Cet article, initialement publié sur le site Totus Tuus, est la suite de "Existe-t-il des preuves de l'existence de Dieu?" et de "Les limites de la démarches scientifiques" - l'ensemble constituant une réponse aux objections de mon contradicteur athée se faisant appeler Miky.

Cher Miky,

Quelle que soit la pertinence des raisonnements que nous pourrons développer au sujet de l’existence de Dieu et le caractère convaincant des "preuves" que nous pourrons présenter, la foi en Dieu n’est (et ne sera) jamais le résultat obligé d’une démarche purement intellectuelle de l’homme. Nul n’a jamais été converti au christianisme par un simple échange d’arguments ou d’idées, aussi bonnes soient-elles. La foi est autre chose qu’un simple savoir intellectuel.

Je pourrais te persuader qu’il est raisonnable de croire en Dieu. Je pourrais aller jusqu’à te convaincre de son existence. Mais cela ne te donnera pas la foi pour autant. Car la foi, contrairement à ce que beaucoup pensent, n’est pas la simple croyance en l’existence de Dieu (ni sa certitude rationnelle). Elle est d’un autre ordre.

"Tu crois qu'il y a un seul Dieu ? Tu as raison. Les démons, eux aussi, le croient, mais ils tremblent de peur" peut-on ainsi lire dans la Lettre de Saint Jacques (2. 19).

Il est important de bien distinguer ces deux notions, "croyance" et "foi" car elles ne se situent pas sur le même plan : je peux croire en l’existence de l’Himalaya sans y être jamais allé, mais est-ce que cela change ma vie ?

Si la croyance est une opinion personnelle, une option philosophique ou religieuse à laquelle on adhère intellectuellement - ou un savoir -, la foi, elle, engage l’homme tout entier : ses convictions personnelles, intellectuelles, mais aussi sa volonté et sa liberté - son action. La foi est une praxis – elle est une démarche active de l’homme, un choix délibéré en faveur de Dieu qui se révèle. Non seulement il croit en Son existence, mais il croit encore en l'authenticité de Sa Révélation et en la vérité de Sa Parole. Il s'en remet à Lui pour le conduire dans la vie ; il a confiance en Lui.  Il est donc tout entier à son écoute, avec le désir de faire Sa volonté - assuré de la bonté de cette Volonté ; il croit en Lui.  La foi est donc PLUS que la croyance ou le savoir.

On notera que si l’on parle de "croyance" au sujet de l’existence de Dieu et non de "savoir ", c’est pour la même raison que l’on ne parle plus de "science" aujourd’hui au sujet de la métaphysique. Mais en toute rigueur, la métaphysique est une science, comme l’existence de Dieu est de l’ordre du "savoir", et non du "croire". Un peu comme l'Himalaya dont je parlais : je "sais" que l'Himalaya existe. Pourtant, je ne l'ai jamais vu. Mais je "crois" ce que l'on m'enseigne à son sujet et c'est comme cela que je le "sais". Au fond de tout savoir, il y a toujours une croyance : croyance en la vérité scientifique dans le cas de l'Himalaya ; croyance en la vérité métaphysique dans le cas de Dieu.

Pour Saint Thomas d’Aquin l’existence de Dieu n'est pas un article de foi, mais le préambule rationnel introduisant à la foi. Pour croire en Dieu - et avant de croire Lui - il faut savoir qu'Il existe. Croire en Dieu, ce n'est donc pas croire en l'existence de Dieu. Pour croire en Dieu - c'est-à-dire pour Lui faire confiance au point d'orienter ma vie selon Ses voies - il me faut connaître préalablement Son existence. Celle-ci connue, alors - mais alors seulement - je pourrai L'écouter et agir conséquemment. Voltaire, lui - qui n'avait pas la foi mais n'était pas athée pour autant -, écrivait dans son Dictionnaire philosophique : "Il m’est évident qu’il y a un Être nécessaire, éternel, suprême, intelligent ; ce n’est pas de la foi, c’est de la raison".

La foi est donc autre chose que la simple adhésion intellectuelle à l'existence de Dieu : elle est une relation à Quelqu’un de vivant, pensant, parlant, voyant et agissant - et relation à Quelqu'un qui compte pour moi, que j'ai le désir d'aimer et de servir - non comme un esclave, mais comme un fils, parce que je sais que je lui dois tout ce que je suis et tout ce que j'ai.

Comme l’écrit le Père Descouvemont, dans son magistral "Guide des Difficultés de la Foi Catholique", "Dieu n’est pas une vérité abstraite à atteindre par une démarche rationnelle, mais le Grand Vivant à rencontrer dans une expérience personnelle." On ne déduit pas Dieu : on le rencontre. "Dieu se rencontre comme une Personne, dans le cœur à cœur d’une expérience spirituelle ineffable. C’est une aventure éminemment personnelle."

"L’incroyant, écrit Jean Guitton dans "Difficultés de croire", est souvent étonné, quand il lit un ouvrage d’illustration ou de défense de la foi. Et il juge qu’il y a disproportion entre les motifs, les raisons alléguées et les conclusions, que les objections vraies et profondes dans ces traités sont souvent omises ou représentées d’une manière caricaturale, les difficultés voilées, les adversaires réduits ou diminués, parfois moqués, et d’une manière générale que la géométrie de la preuve est trop rapide. Mais cela se conçoit assez quand on se place à l’intérieur de la certitude. Le croyant n’est pas nécessairement un converti : et à supposer même qu’il le soit, il y a peu de chances qu’il ait passé de l’incroyance à la foi pour des motifs tirés de la raison, de l’histoire, de l’analyse impersonnelle. C’est une expérience intérieure incommunicable, un événement, une série d’événements orientés (une détresse, un attrait, une humiliation, une expérience du péché, une voix), qui l’ont conduit à la foi. La conversion se place dans ces régions profondes où la pensée claire pénètre mal, sauf pour justifier après coup une démarche intime et irrésistible (…). Et quand un croyant expose les raisons de sa foi, si grand que soit son soin pour les rendre aussi pertinentes, exactes que possible, pour ne pas bousculer et précipiter l’adversaire, il ne peut pas ne pas faire que les raisons ou motifs qu’il présente aux autres (alors même qu’il en aurait fait l’usage et le premier essai sur son propre esprit), ne sont pas toujours celles qui l’ont convaincu lui-même ; il demande à l’incroyant un effort que lui n’a pas fait, et qui est d’un tout autre ordre." 

Le Père Molinié décrit assez bien le phénomène de la conversion, dans son maître ouvrage, "Le courage d’avoir peur" : "Il y a des moments dans notre vie (…) où nous pressentons le Royaume des Cieux. Imaginez un homme qui a vécu dans un pays merveilleux jusqu’à trois ou quatre ans, ne l’a jamais revu et qui, l’espace d’une seconde, respire un parfum qui lui rappelle ce pays – quelque chose de très fugitif, de très secret, mais de très fort quand même… C’est comme quand on s’approche de la mer : l’air n’est plus le même – c’est le vent du Ciel, le souffle du Saint-Esprit. Tous [le Père Molinié s’adresse à des chrétiens au cours d’une retraite spirituelle], nous l’avons senti passer un jour : il n’y a que cela qui puisse nous attirer vers Dieu. Ce n’est pas avec des coups de bâton qu’Il nous attire, ni avec des raisonnements : on ne devient pas chrétien parce qu’on est convaincu que c’est plus parfait, mais parce qu’on ne peut pas faire autrement" [tant l’attraction de Dieu est puissante].

Cher Miky, je t’invite à relire mon propre témoignage : ma rencontre personnelle avec Dieu s’est faite à travers la découverte de l’Evangile. Ce sont des choses difficiles à expliquer à des gens qui n’ont pas fait dans leur vie une telle expérience de rencontre avec le Seigneur - mais que tout converti comprend au quart-de-tour - ; et c’est quelque chose qui ne trompe pas car cela vient du plus profond de l’être, un peu comme la pression de la vie qui finit par faire sortir le poussin de sa coquille lorsque son heure est venue - c'est irrésistible.

Cela dit, pour affirmer la valeur de sa foi, le chrétien ne s’appuie pas seulement sur sa propre subjectivité ou sur ses seules émotions : toute la foi chrétienne repose en effet sur des critères objectifs ; non sur des idées ou des valeurs, quelques généreuses qu’elles soient, mais sur des faits et des événements que notre intelligence peut s’appliquer à étudier avec soin – avec toute la rigueur scientifique requise :
>> le fait de la Création (ou disons : le phénomène "Univers" qui est la première manifestation de Dieu – sa première Parole) ;
>> et le fait de la Révélation (ou disons : les phénomènes "Israël", "Jésus-Christ" et "l’Eglise") – qui marque l’irruption de Dieu dans notre histoire.
Le cœur de la foi chrétienne consiste à croire que le Dieu Créateur du ciel et de la terre - que la raison parvient à connaître sans intervention surnaturelle - est entré en dialogue avec l’humanité depuis Abraham, et qu’Il nous a envoyé son propre Fils en la personne de Jésus-Christ lorsque Ponce Pilate était gouverneur de la Judée. Du coup, le chrétien qui veut vivre sérieusement sa foi ne pourra faire l’économie ni d’une réflexion métaphysique de fond sur le réel scientifiquement exploré (pour étudier le fait de la Création), ni d’un minimum de recherche historique pour aller voir ce qui s’est réellement passé d'extraordinaire au Proche Orient il y a plus de vingt siècles de cela (pour étudier le fait de la Révélation).

Une foi solide ne peut d’obtenir qu’à ce prix. Comment pourrait-on avoir la certitude de notre foi, par-delà le caractère tangible de notre expérience spirituelle, si la vision du monde dans laquelle elle s’inscrit n’était pas compatible avec les données de la science (à l’instar des philosophies de l’Eternel retour par exemple), ou s’il ne s’était rien passé sous Ponce Pilate, si le Christ ne s’était jamais manifesté à ses disciples après sa mort ? A partir du moment où l’on croit que le Dieu Créateur a choisi un lieu, un temps, une race, une mère, des apôtres pour se manifester aux hommes, il nous faut inévitablement passer par leur médiation pour savoir ce qu’Il est venu nous dire et accomplir sur cette terre.

Bref, comme l’écris encore le Père Descouvemont : "la Foi chrétienne est indissolublement affaire de cœur et de raison. Elle est quelque chose de plus que la simple expérience religieuse qui nous fait sentir Dieu dans le silence de la nature ou la beauté d’un office monastique. Certes, le chrétien ne dédaigne pas de prier, les yeux émerveillés par les derniers feux du soleil couchant ou les oreilles enchantées par son morceau d’orgue préféré. Mais dans la mesure même où sa foi est la rencontre du Christ ressuscité, elle ne peut se dispenser d’un recours à l’histoire. Celui dont nous expérimentons la présence dans le cœur à cœur d’une prière est Celui-là même qui est né à Bethléem, qui est mort à Jérusalem et qui s’est manifesté à plusieurs reprises à ses apôtres après sa résurrection d’entre les morts".

Une étude approfondie des phénomènes surnaturels survenus depuis vingt siècles de vie de l’Eglise (apparitions, miracles, vie des saints…) achèvera d’enraciner notre foi dans le réel, et de nous convaincre qu’il existe décidément bien des raisons de croire.


Discussion avec les lecteurs suite à la publication de cet article

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