lundi 11 mars 2019

Les limites de la démarche scientifique

Cet article fait suite à l'article "Existe-t-il des preuves de l'existence de Dieu?" et constitue une réponse à mon interlocuteur athée Miky.


Si je résume bien ta pensée, Miky, telle que tu l’exposes en particulier dans le premier article de ton blog sur l'appel aux causes transcendantes, il y a ce que la science observe et tout ce qui n’a pas encore été démontré par elle.

Les mystères encore cachés de ce monde serviraient, selon toi, d’alibi commode aux croyants pour invoquer l’existence d’un Dieu qui fournirait ainsi une explication trop facile au monde, tel un "bouche-trou" à nos ignorances que l’on emploierait à défaut de trouver d’autres explications valables : "Celui qui, ne supportant pas son ignorance, s'invente un "Dieu des trous" ne fait que couvrir son ignorance d'un peu de dignité, mais ne résout fondamentalement rien", écris-tu ainsi dans ton commentaire n°1 à l’article "La Terre : une planète spécialement configurée pour donner la vie".

Dans un autre commentaire à mon article sur "La Bible... ou les astres?", tu renchéris en affirmant que "Scientifiquement, la doctrine de l'Eglise ne tient pas la route. Rien n'indique que la prière intercessoire ait le moindre effet (excepté placebo lorsque la personne pour qui l'on prie sait que l'on prie pour elle), rien n'indique que les soi-disant miracles de Lourdes ne pourraient pas, en principe, recevoir une explication naturaliste ; quant aux apparitions de la Vierge, cela pourrait très bien être des hallucinations, etc. Les progrès des neurosciences, écris-tu, tendent à expliquer l'esprit, l'âme et les états mystiques en termes naturalistes. Scientifiquement, rien n'indique qu'il y a quelque chose d'autre qui transcende le cerveau, le corps, et leurs relations avec l'environnement."

Je te cite encore dans ton article sur l'argument par l'expérience religieuse : "Les expériences réelles qui ont un impact profond sur une personne peuvent avoir des origines complètement naturelles sans aucune connexion divine. Les expériences mystiques peuvent être reproduites chez quiconque, avec des substances chimiques et des équipements mécaniques. Cela étant établi, quelle raison y a-t-il à penser que les autres rapports relèvent vraiment d'une cause surnaturelle plutôt que naturelle ? (…) Même si une expérience change le cours d'une société, cela ne prouve pas que ces expériences ont une origine surnaturelle. Au plus, cela pourrait rendre compte du degré de persuasion des croyants ou de l'attrait pour ces affirmations."

Ce qui me gêne fondamentalement dans ces quelques réflexions, Miky, c’est qu’elles semblent enfermer tout le champ du réel dans la seule démarche scientifique. Ne semble être vrai pour toi que ce qui peut avoir un fondement scientifique : tout le reste n’a aucun intérêt, et l’homme qui voudra être "raisonnable" (au sens de "rationnel") devra toujours s'en tenir strictement à ce qui est démontré par la science : "il semble toujours préférable, écris-tu dans ton article sur l'appel aux causes transcendantes, face à un phénomène que l'on ne parvient pas à expliquer, de considérer que ce phénomène est sans cause, plutôt que de lui affubler une cause transcendante."

Je ne crois pas trahir ta pensée en la résumant ainsi : ne doit être considéré comme vrai que ce qui est démontré par la science ; ne doit être considéré comme réel que ce qui peut tomber sous l’emprise des sens, que ce qui peut être testé et vérifié. Tout le reste n’est que divagation de l’âme. On peut divaguer si l’on veut ("je n'ai rien contre le fait que l'on croit en Dieu" dis-tu), mais ce n'est que divagation ("ce que la science étudie, c'est d'abord ce que le sens commun nous révèle. Et le sens commun ne nous montre pas Dieu." Au sujet de l’Eucharistie : "A supposer même qu'il y ait quelque chose d'inattendu qui se produise dans l'hostie lorsqu'elle est consacrée, rien n'indiquerait que ce serait Dieu le responsable. Ce serait une hypothèse, mais d'ordre métaphysique car invérifiable. Scientifiquement, on serait juste en face d'un phénomène bizarre, que l'on n'arriverait pas à expliquer (du moins pour le moment).")

Bref, si l'on suit ton raisonnement, on ne pourrait jamais affirmer l’existence d'un Dieu transcendant dans la mesure où l’intelligence est incapable de l'appréhender comme phénomène sur le plan scientifique. Ou comme le disait déjà le célèbre astronome et mathématicien Laplace, du temps de Napoléon : "Dieu ? C’est une hypothèse dont je n’ai pas besoin"...

Mais peut-on dire que la science couvre tout le champ du réel ? N’est-il pas excessif de faire de la connaissance scientifique le seul type de connaissance valable ?

La science n’apporte pas l’intelligibilité complète. La science est vraie, mais elle ne comprend pas tout le réel. L’investigation scientifique est ainsi strictement limitée dans son objet à l’observation des phénomènes et à la recherche de leurs causalités matérielles. Il ne lui appartient pas de s’interroger sur leur raison d’être ontologique, ni de rechercher le sens de la destinée humaine. Ces questions de l’existence et du sens ne relèvent pas de la science, mais de la philosophie et de la théologie.

Si les sciences positives excluent a priori les explications qui n’ont pas leur source dans la réalité matérielle, cherchant absolument une cause naturelle aux phénomènes observés et rejetant absolument les explications surnaturelles, c’est en vertu de leur méthodologie propre, parce que leur objet se limite à l’étude de la réalité matérielle. En cours de peinture, on n’étudie pas Mozart. Non parce que Mozart n’existe pas ou qu’il n’est pas intéressant, mais parce qu’en peinture, on fait de la peinture, on ne fait pas de la musique ! Eh bien pareillement. Poser l’existence de réalités non matérielles, c’est sortir de la science – voilà pourquoi les explications surnaturelles sont proscrites, a priori, dans le domaine scientifique. Cela ne veut pas dire qu’elles n’existent pas ni qu’elles ne peuvent être étudiées dans une autre discipline rationnelle (tout aussi scientifique en son ordre) ; cela veut dire simplement qu’elles se trouvent en dehors du champ de la science moderne qui ne regarde QUE la matière, parce que tel est son objet exclusif. Si la science ne regarde QUE la matière (méthodologiquement), elle ne dit pas qu’il n’y a QUE la matière (ontologiquement) ni qu’elle est le seul mode de connaissance possible du réel. Le scientifique qui affirmerait cela sortirait lui-même du champ de la science, puisqu’il énoncerait là une proposition métaphysique irrecevable sur le plan scientifique. Il n’appartient pas à la science de statuer sur les questions métaphysiques ; de déterminer s’il n’existe QUE la matière ou s’il existe d’autres types d’êtres que ceux que l’on peut connaître par l’observation ou le calcul.

La science est donc impuissante, de par sa nature et son objet, à résoudre les problèmes les plus chargés de signification pour l’homme. Sa vocation est de chercher à comprendre CE QUE SONT matériellement et quantitativement les choses et les phénomènes qui se manifestent dans la réalité matérielle qu’elle ausculte, non POURQUOI ils existent qualitativement. Pour le dire avec un langage plus philosophique : la science regarde l’ESSENCE des choses, mais non leur EXISTENCE en tant que telle – qu’elle se donne pour acquis. La science est donc incapable – parce que ce n’est pas son rôle – de fournir la moindre réponse aux grandes questions de l'existence : qui suis-je fondamentalement ? Pourquoi j'existe? Ma vie a-t-elle un sens ? Comment dois-je l’orienter ? Est-il possible qu’elle se poursuive au-delà de la mort ?...

Les merveilles scientifiques et techniques ne pourront jamais assouvir la soif qui habite le cœur de l’homme de trouver un sens à son existence, d’aimer et d’être aimé. "La science ne répond pas à toutes les questions que nous sommes susceptibles de lui poser, écrivait Louis Leprince Ringuet, grand spécialiste des rayons cosmiques. Elle nous laisse toutes options ouvertes… Alors même que nous irions promener notre angoisse sur la lune, notre angoisse resterait la même." 

"Croire que l’on va trouver la signification de la vie au bout d’un microscope ou d’une lunette astronomique est une plaisanterie. Analysez les larmes d’une femme qui pèle ses oignons, comparez le résultat à l’examen d’autres larmes qu’elle a versées à la mort de son mari, et essayez de découvrir la différence dans votre laboratoire ! Pauvreté de la science lorsqu’on lui assigne pour tâche la signification de l’univers" (Stan Rougier, in Dieu était là et je ne le savais pas, Presses de la Renaissance 1998, Pocket, page 163).

Le grand physicien allemand Albert Einstein lui-même déclarait : "La religion sans la science serait aveugle, la science sans la religion serait boiteuse".

Ce qui me fait affirmer l’existence de Dieu, Miky, ce ne sont pas les "trous", les insuffisances actuelles de l’explication scientifique, ses mystères provisoires, mais bien au contraire tout ce qu’elle arrive déjà à expliquer, ainsi que nous le verrons dans la poursuite de notre étude sur la Création – tout ce que nous savons de manière certaine et définitive sur l’univers et qui est incontestable ; tout ce sur quoi la science ne reviendra pas.

"Il est à remarquer incidemment, écrivait André Frossard (in Dieu en questions, Desclée de Brouwer, 1990, pages 67-68) que plus on avance dans l’investigation des choses, plus leur mystère grandit. Une femme qui tricote est toujours mystérieuse par la combinaison de présence et d’absence qui caractérise ce genre d’occupation. Mais quand on sait qu’il s’agit en réalité d’un conglomérat de particules élémentaires associées en atomes constitués en molécules en train de faire du tricot, le mystère prend des proportions cosmiques. C’est lorsque les choses sont scientifiquement expliquées qu’elles ont le plus besoin d’une explication religieuse."

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