jeudi 11 avril 2019

Ce que nous enseignent les sciences de la nature - Dialogue avec les lecteurs (1)

La publication de la courte citation d'Albert Vandel sur "Ce que nous enseignent les sciences de la nature" a suscité un débat fleuve avec les lecteurs du blog Totus Tuus. En voici la première partie.

Commentaire n°1 posté par le Pasteur Eric

Navré Matthieu, mais il me semble que pour beaucoup d'autres chercheurs plus récents, l'évolution soit plutôt lue comme un buissonnement que comme allant dans un sens précis. C'est par exemple le cas de la théorie synthétique de l'évolution. Je te recommande chaleureusement la lecture de Stephen Jay Gould pour lire une approche absolument pas théologique ni athéologique de la question...

Réponse au Commentaire n°1

Merci cher Pasteur de cette précision, mais je ne vois pas en quoi cette théorie que vous évoquez aurait plus de poids que celle de Michael Denton, qui est un auteur tout à fait récent.

Commentaire n°2 posté par le Pasteur Eric

Ce n'est pas à moi de prouver quelle théorie à le plus de poids, je disais juste que la théorie synthétique de l'évolution était le consensus actuel des chercheurs et que ceux-ci s'accordent également à voir l'évolution comme un buisson plutôt que comme une échelle.

En fait, je suis très réticent à donner – pour des raisons théologiques – plus de poids à une théorie scientifique qu'à une autre. On a vu ce que ça a donné quand l'Eglise s'est mise en tête de combattre l'héliocentrisme...

Réponse au Commentaire n°2

Cher Pasteur,

Je ne m'attache à aucune théorie scientifique. Voilà pourquoi la théorie de l'Evolution ne me gène aucunement.

Ce que je conteste en revanche, c'est la tentative d'explication du phénomène par le hasard, qui n'est absolument pas raisonnable – ni scientifique –, j'aurai l'occasion de développer ce point ultérieurement.

Maintenant, que l'Evolution se fasse "en échelle" ou par "buissonnement" ne change rien au problème de fond soulevé par le fait que cette Evolution se déroule toujours dans le sens d'une complexification croissante, cela jusqu'à l'homme, son cerveau et son intelligence. Il me paraît important de rendre compte de cet étrange phénomène sur le plan métaphysique... surtout si l'on entend exclure par avance l'intervention surnaturelle d'un Créateur!

Commentaire n°3 posté par le Pasteur Eric

Justement, le problème c'est que voir dans l'évolution un buisson ne permet pas de dire que l'évolution va jusqu'à l'homme et son intelligence. Dans cette vision des choses, l'homme n'est pas le point culminant de l'évolution mais simplement un rameau de ce buisson.

Ce que les faits montrent, par exemple c'est que si l'homo sapiens sapiens est aujourd'hui le seul représentant de l'humanité, d'autres représentants existèrent (le plus célèbre étant l'homme de Néandertal notre cousin qui était tout aussi doué d'intelligence et de conscience que nous). Et c'est gênant si on veut prouver scientifiquement le Dieu créateur. Mais à travers la Bible, Dieu est bien plus un Dieu électeur qu'un Dieu créateur (le créationisme – au sens biblique du terme – est une théologie relativement récente et marginale...).

Réponse au Commentaire n°3

1°) Vous dites que rien ne permet d'affirmer que l'Evolution va jusqu'à l'homme et son intelligence : et pourtant l'homme et son intelligence se trouvent au terme du processus évolutif. C’est là un fait scientifiquement établi. Eh bien, c'est cela précisément qu'il convient d'expliquer philosophiquement : est-ce que l'homme et son intelligence peuvent provenir des lois du hasard? Ou bien sont-ils le résultat nécessaire du processus évolutif – le fruit d'un dessein intelligent comme l'existence de lois inscrites au coeur même de la nature peut le laisser à penser?

2°) La théorie du rameau du buisson ne me gène pas plus que de savoir que la terre n'est pas physiquement le centre de l'univers. Et l'existence de "cousins" en humanité montrerait bien que des rameaux pourtant indépendants les uns des autres peuvent évoluer malgré tout... dans le même sens.

Commentaire n°4 posté par le Pasteur Eric

L'être humain au sommet de la Création ? Si, comme j'en ai l'impression, par Création vous entendez Nature, c'est une affirmation très discutable. En effet, vous choisissez comme critère l'intelligence qui nous arrange le mieux. Mais choisissons d'autres critères : la taille par exemple, et la baleine bleue devient le sommet de la Création, ou alors le nombre, et c'est je ne sais quel insecte qui l'emporte ; la résistance et nous nous retrouvons loin derrière les cafards ; la cohésion sociale et les fourmis nous battent à plate couture ; la durée et les dinosaures nous surpassent qui ont régné sur la terre pendant 30 millions d'année et loin devant eux les arthropodes...

Quant au hasard, je pense que c'est mal connaître les théories de Darwin. Pour Darwin la sélection naturelle – et donc la contingence – est l'élément dominant de l'évolution. Contingence et hasard ne sont pas la même chose... Et si c'est Dieu qui a fixé les lois de la contingence et de la sélection naturelle, alors on tombe sur la vraie question philosophique : pourquoi un Dieu bon crée-t-il un univers basé sur la prédation...

Décidément, je crois que la science nous pousse à revenir vers le Dieu électeur, le Dieu qui choisi des origines...

J'aime énormément le psaume 8 "qu'est ce que l'homme pour que tu pense à lui et tu en as fait presque un Dieu" (de mémoire). Il me semble contenir :
- une affirmation scientifique : l'homme n'est vraiment pas grand chose face à l'univers
- et une affirmation théologique : Dieu le choisit, lui donne une importance...

Réponse au Commentaire n°4

OK, le problème est donc théologique.

J'avoue avoir bien du mal à vous suivre. Dieu créé l'homme à son image et à sa ressemblance, n'est-ce pas? Il me semble avoir lu ça quelque part dans la Bible... L'homme occupe donc une place à part dans la Création. Il est "la seule créature sur Terre que Dieu a voulue pour elle-même" (CEC). Et tout dans l'univers a été créé pour lui. L'homme est donc bien le sommet de la Création divine. Voilà pour le donné théologique.

Maintenant, c'est vrai : j'ai la faiblesse de croire que les sciences naturelles corroborent cette affirmation théologique. L'homme est le sommet de la Création : c'est vrai aussi, me semble-t-il, dans l'ordre naturel. Ce n'est bien sûr pas par sa taille ou par sa résistance qu'il faut le considérer par rapport à tous les autres animaux, mais précisément par ce par quoi il est à l'image et à la ressemblance de Dieu : son intelligence créatrice, sa capacité à dominer la nature et à la transformer – sa capacité à aimer aussi.

Quant à Darwin : la théorie de la sélection naturelle désigne bien un processus aveugle, mécanique, algorithmique, largement gouverné par le hasard.

Commentaire n°5 posté par le Pasteur Eric

Dieu crée l'homme à son image, je suis entièrement d'accord avec ça et notamment avec l'usage du présent. C'est bien une affirmation théologique et pas scientifique. Dieu nous façonne pour nous rendre conforme à son projet.

Mais là où nous différons, c'est que pour moi la Nature n'est pas la Création. La nature est la matière brute et vivante dans laquelle Dieu crée. Si vous voulez, je mets une différence importante entre la matière première (la nature) et le résultat (ou même l'étape intermédiaire) la Création (le résultat final de la Création sera le Royaume). Du coup, il ne me paraît absolument pas gênant de considérer l'humain comme un accident d'une évolution due à une contingence aveugle et de dire que Dieu choisit cet accident de l'évolution pour en faire sa Créature.

Autrement dit, nous ne voyons pas l'acte créateur de Dieu au même endroit : pour ma part, je n'affirmerais pas que la transformation d'un primate en être humain est l'oeuvre créatrice de Dieu. Je ne le nie pas forcément, non plus. Je n'en sais rien mais pour moi, l'oeuvre de Dieu se situe plutôt (et de façon bien plus manifeste) dans la conversion et dans l'inspiration.

Les récits de Création ne me parlent pas, de façon imagée, de ce qui fut à l'aube des temps ; ils me disent le projet de Dieu et la situation de l'homme aujourd'hui.

Réponse au Commentaire n°5

Je considère pour ma part, comme catholique, que l'ensemble du monde matériel a été créé par Dieu, qui "a fait le ciel et la terre" (Ps 115.15 ; 124.8 ; 134.3), et que Dieu n'a eu besoin d'aucune matière première préexistante pour créer. Dieu crée librement, ex-nihilo.

"Quoi d'extraordinaire si Dieu avait tiré le monde d'une matière préexistante? Un artisan humain, quand on lui donne un matériau, en fait tout ce qu'il veut. Tandis que la puissance de Dieu se montre précisément quand Il part du néant pour faire tout ce qu'Il veut." (St Théophile d'Antioche ).

La foi en la création "de rien" est explicitement attestée dans l'Ecriture au 2e livre des Maccabées (7. 22-23. 28) : "Mon enfant, regarde le ciel et la terre et vois tout ce qui est en eux, et sache que Dieu les a fait de rien et que la race des hommes est faite de la même manière".

Commentaire n°6 posté par le Pasteur Eric

Le problème c'est que les textes de la Genèse ne parlent pas d'une création ex nihilo (Dieu crée en ordonnant le Tohu Bohu qui n'est pas du rien). Quant à votre référence scripturaire : je rappelle que les livres des Macchabée sont très tardifs et n'appartiennent pas au canon du judaïsme et leur appartenance à la Bible est donc réfutée également par les protestants...

Mais en fait mon intervention n'a pas pour but de casser ou critiquer votre foi, simplement de dire que l'hypothèse d'un dessein intelligent n'est nécessaire ni à une approche scientifique, ni à une approche théologique.

Ce n'est donc pas votre foi que je conteste ici mais plutôt le caractère raisonnable que vous lui revendiquez et qui me paraît la desservir in fine... Si un jour, la convergence aveugle est prouvée (comme l'a été l'héliocentrisme), que restera-t-il de votre foi ?

Réponse au Commentaire n°6

Cher Pasteur,

Je vous rassure : je n’ai perçu aucune agression de votre part au sujet de ma foi. Je ne saurais même assez vous remercier pour vos commentaires, qui m’incitent à la plus grande rigueur intellectuelle. Je m’enrichis vraiment à dialoguer avec vous.

"Si un jour, la convergence aveugle est prouvée (comme l'a été l'héliocentrisme), que restera-t-il de votre foi ?" Je vois mal personnellement comment une telle hypothèse pourrait être scientifiquement prouvée, dans la mesure où la question de la cause première de l’évolution (hasard ou dessein intelligent) échappe complètement à l’investigation scientifique. Le scientifique observe, décrit des mécanismes, il explique comment les choses se sont faites historiquement (avec des zones d’ombres notables), il dégage des lois, mais il ne lui appartient nullement de déterminer pourquoi les choses se sont déroulées de telle manière plutôt qu’une autre. Cela est du ressort de la réflexion métaphysique et théologique.

Au sujet de votre théorie de l’élection, j’ai beau retourner le problème dans tous les sens, je ne vois pas comment il pourrait exister de l’être en dehors de Dieu – sans Dieu, indépendamment de Dieu.

Si tel était le cas, cela voudrait dire alors que la matière existe par elle-même de toute éternité ; qu’elle est sans cause et incréée ; ce qui me paraît poser un double problème, philosophique et scientifique.

- Philosophique : car si je peux comprendre que Dieu n’ait pas de cause (puisqu’Il est l’Être nécessaire), il me paraît difficile d’admettre que la matière, elle non plus, n’en ait point. Elle serait alors bien plus mystérieuse que Dieu Lui-même…

- Scientifique : car ce que nous enseignent les sciences positives aujourd’hui, c’est que notre univers en tous ses composants matériels a eu un commencement (cf. le Big Bang), à partir duquel on lui peut lui déterminer un âge. On le voit donc : rien n’étaye sur le plan scientifique la théorie de l’éternité de la matière.

Bien étrange en vérité serait cette matière capable de produire l’homme par ses seules ressources, sans l’intervention créatrice de Dieu qui ne ferait que prendre acte, si j’ose dire, de son évolution naturelle pour en cueillir le plus beau fruit – l’homme – et en faire sa créature (si je comprends bien votre théorie de l’élection).

Quant aux fondements théologiques de cette théorie qui fait de l’homme un simple "accident" de la nature, ils me paraissent hautement discutables. "Ils disent au bois : tu es mon père, et à la pierre : tu m’as mis au monde" (Jérémie, 2. 27).

L’argument du caractère tardif de la doctrine de la Création me paraît peu convaincant : la doctrine de la Résurrection est plus tardive encore ; elle est pourtant le socle solide sur lequel repose toute la foi chrétienne.

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