dimanche 10 février 2019

Qu'est-ce qu'un catholique?

J’ai publié précédemment un questionnaire qui se voulait un test pour déterminer l’authenticité de notre foi catholique. Nous savons que beaucoup, à l’occasion de sondages d’opinion, se présentent comme "catholiques". Certains à bon droit. D’autres, simplement parce qu’ils ont été baptisés dans leur petite enfance et qu’ils demeurent vaguement croyants, même s’ils ne vont pas à la messe tous les dimanches.

Nous savons aussi que nombre de ceux qui se déclarent catholiques sont extrêmement critiques à l’égard de l’Eglise du même nom, que ce soit sur ses positions jugées rétrogrades ou intolérantes, ou sur son Pape, considéré comme réactionnaire et dépassé.

Au point que la question : "suis-je catholique ?" doit certainement être reposée par nombre de ceux qui se considèrent comme tel.

Le principal mérite du petit questionnaire de Cyril Brun, qui relevait 50 points fondamentaux et déterminants de l’identité catholique, était de nous re-situer en face de cette question de notre adhésion à la foi catholique.

L’une de nos lectrices cependant, Nathalie, s’interrogeait sur la pertinence d’une telle démarche. "Qui a élaboré ce questionnaire, demandait-elle, et quelle validité (crédit officiel, si je m'exprime bien, comme venant de l'Eglise elle-même) on peut lui accorder ? Ce que j'entendais, en posant cette question, c'est : est-ce que n'importe qui a le droit de décréter que je suis catholique ? Est-ce que moi-même, j'ai autorité pour affirmer, de manière crédible et indiscutable, que je suis catholique ? Si tout le monde est en droit et légitime pour dire, ceci est catholique, cela ne l'est pas, donc je peux dire que JE suis catholique, mais si mon voisin vient affirmer le contraire, que se passera-t-il ? Enfin, pourquoi inventer un questionnaire lorsque nous avons le Credo ? Enfin cela ne répond pas à cette question importante : qui est légitime pour dire qui est catholique et qui ne l'est pas. Moi ? la voisine ? Miky ou Tigreek ? ou l'auteur de ce blog ? Ce questionnaire est bien intéressant, amusant aussi, sans doute juste, mais d'où tire-t-il sa légitimité ?" (commentaire n°7)

Qu’est-ce qu’un catholique ? La question peut être posée aujourd’hui comme elle le fut naguère dans le monde anglo-saxon pour un autre terme, celui de "gentleman" (exemple évoqué par CS Lewis dans son ouvrage sur Les fondements du christianisme). Le mot "gentleman" désignait autrefois un homme qui possédait des armoiries et des biens fonciers. Ce n’était pas un compliment ni une qualité, mais une référence objective toute simple à l'état de son patrimoine. Dire de quelqu'un qu'il n'était pas un gentleman n'avait donc rien d'insultant. On pouvait être à la fois un grossier personnage et un gentleman, comme on peut être à la fois un grossier personnage et diplômé en droit ou en philosophie.

Le mot gentleman a connu cependant une évolution subreptice – un glissement de sens. On a commencé à penser que ce n'étaient pas les possessions matérielles qui définissaient le vrai gentleman, mais bien plutôt sa conduite. A partir de ce moment, l'usage s'est progressivement instauré de dire qu’Untel était "gentleman" non en raison de son état de fortune, mais en raison de sa courtoisie et de sa gentillesse, tandis qu’Untel autre ne l’était pas en raison de sa morgue et de son manque de savoir-vivre. Après quelque temps, le sens du mot "gentleman" était changé : il ne désignait plus la même réalité que celle qu’il visait originellement. Et du coup, dénier à quelqu’un la qualité de "gentleman" revenait à porter sur lui un jugement négatif, et pouvait être considéré par l'intéressé comme une offense ou une injure.

Le changement de sens du mot "gentleman" n’est bien entendu pas un drame – c'est ce qui arrive parfois dans une langue vivante ; mais il serait assurément malheureux que le mot "catholique" subisse le même sort.

Comme l’expression "gentleman", l’expression "catholique" renvoie depuis l’origine à une réalité objective que tout un chacun peut apprécier, et n'implique aucun jugement moral sur la personne ainsi qualifiée – même si idéalement, cela le devrait peut-être. Nous allons y revenir. Or, il arrive aujourd'hui que l’on dise d’une personne qui se conduit humainement et avec générosité envers les autres qu’elle agit "chrétiennement" ou en vrai "catholique". Peu importe qu'elle ne soit pas croyante ou pratiquante : parce qu’elle fait le bien et qu’elle aime son prochain, elle serait plus proche du Christ qu’un prétendu catholique qui passerait son temps à l’Eglise, à prier et à étudier la Bible, mais qui mépriserait ses frères et ne cesserait (par exemple) de médire à leur sujet. Untel, non croyant et non pratiquant, pourrait se considérer ainsi plus "chrétien" ou "catholique" qu’un habitué des assemblées dominicales ou un érudit sur les questions théologiques.

Il faut donc se reposer aujourd'hui la question : qu’est-ce qu’un catholique ? Un croyant/pratiquant? Quelqu'un qui fait le bien? Les deux mon général? Et question subsidiaire : qui a autorité pour dire de son frère qu’il est ou non catholique ?

Si l’on entend par catholique quelqu’un de bien, qui pour cette raison, serait habité par l’Esprit d’amour et de compassion de Jésus-Christ, alors je suis d’accord avec Nathalie : il n’appartient à personne de juger si quelqu’un est ou non "catholique". Dieu seul peut sonder les reins et les cœurs ; il ne nous appartient pas en tant qu’hommes de juger nos frères et de les "chasser" de la catégorie des "gens biens" en leur déniant la qualité de "catholique". Ce serait leur faire offense que de leur dire qu’ils ne sont pas catholiques. Cela reviendrait à porter sur eux un jugement moral dévalorisant. Or, comme chacun sait, il n’est pas permis à un chrétien de juger son frère. "Ne jugez pas, dit Jésus, si vous ne voulez pas être jugés" (Mt 7. 1). "Personne n'est bon, sinon Dieu seul" (Mc 10. 18).

Mais l’emploi du mot catholique en ce sens constituerait une grave dénaturation du mot lui-même. Depuis l’origine du christianisme en effet, le mot catholique désigne un fait objectif, que tout un chacun peut constater : l’appartenance visible à l’Eglise catholique. Tout simplement. Ce qui implique plusieurs choses concrètes et vérifiables.

Le catholique est tout d’abord un chrétien, c’est-à-dire un disciple de Jésus-Christ ; une personne qui adhère au Credo et à toutes les vérités de la foi qui y sont déclinées : la Sainte Trinité, l’Incarnation du Fils de Dieu dans le sein d’une Vierge, la mort et la résurrection de Jésus, la Rédemption du genre humain, etc.

Dire de quelqu’un qui ne croit pas en la résurrection de la chair (qui adhère par exemple à la doctrine de la réincarnation) – ou qui refuse de penser que Jésus ait pu naître d’une vierge – qu’il n’est pas catholique ni même chrétien, cela n'est pas une insulte ni une offense à son endroit : c’est la constatation d’un fait objectif tout simple. Car on ne peut se prétendre catholique si l’on ne croit pas dans les vérités de la foi chrétienne – si l’on n’est pas chrétien. Se revendiquer catholique quand on affirme que la croyance en la Trinité est une perversion polythéiste de l’idée de Dieu, voilà qui n’a pas beaucoup de sens ; bien plus : cela est faux, tout simplement.

Alors certes, comme le rappelle Cyril Brun dans son analyse des résultats du test : une difficulté de croire ne signifie pas un refus de croire. "Mille difficultés ne font pas un doute" disait le Cardinal Newman. Mais face à telle ou telle difficulté, quelle sera mon attitude ? L’ouverture d’esprit ? La recherche active ? OU BIEN le rejet pur et simple ? la dérision ou le mépris ? Dans le premier cas, je reste chrétien, même si j’ai du mal à croire en tel ou tel article du Credo ; dans le second, je ne le suis plus – ce qui est mon droit. Encore me faut-il avoir l’honnêteté intellectuelle en ce cas de reconnaître que je ne suis pas (ou plus) catholique.

Ce qui importe dans l’acte de foi, c’est l’orientation de ma volonté. Je crois lorsque je veux croire. Si je n’ai pas la volonté de croire en la divinité de Jésus, en sa naissance virginale ou en sa prochaine venue dans la gloire, je ne suis pas (ou plus) catholique. Si j’ai le désir de croire en dépit des difficultés que je rencontre pour croire vraiment, je peux dire en vérité que j’appartiens à la famille catholique.

Cela dit, si tous les catholiques sont nécessairement chrétiens, tous les chrétiens ne sont pas catholiques. Pour être catholique, il ne suffit pas de croire en Jésus-Christ, ni dans l’Evangile, ni dans la vérité de l’amour – de cela, nos frères orthodoxes et protestants sont absolument convaincus. Il faut encore croire que le Pape et les évêques sont les successeurs légitimes, dans l’ordre de la grâce, de Saint Pierre et des premiers Apôtres ; que l’Eglise catholique actuelle, institutionnelle et organisée hiérarchiquement autour du Pape et des évêques, est le signe visible de l’Unique Eglise du Christ dont les Apôtres sont les pierres de fondation.

Je réponds donc à Nathalie : Non, le Credo ne suffit pas pour définir un catholique. Les orthodoxes et les protestants aussi le confessent. Pour être catholique, il ne suffit pas de proclamer la foi commune des chrétiens. Il faut encore l’entendre comme l’Eglise catholique l’entend ; affirmer par exemple le "Je crois en l’Eglise catholique" avec tout ce que cela implique de confiance et d’adhésion à la Tradition de l’Eglise et à son Magistère, d’obéissance filiale à ses pasteurs légitimes en communion avec le Pape.


Encore une fois : on peut avoir des difficultés de croire en l’Eglise catholique. Tel enseignement du Magistère peut nous poser problème, ou tel aspect de la Tradition (sur la Vierge Marie ou le Purgatoire par exemple) constituer un obstacle. Mais face à ces troubles, je peux décider :
>> OU BIEN d’approfondir ma foi, prier le Seigneur afin qu’il m’éclaire, étudier les points qui me posent question, interroger des prêtres ou des évêques ;
>> OU BIEN de rejeter en bloc l’enseignement de la Tradition et du Magistère sur ces sujets qui me gênent en considérant qu’après tout, il ne s’agit là que de l’œuvre a posteriori d’hommes et non pas de Dieu.
Dans le premier cas, même si je tâtonne et en viens à dire des sottises (nous sommes tous des hérétiques, disait le Père Molinié), je suis catholique ; dans le second cas, je cesse clairement de l’être. Ce qui importe fondamentalement, c’est l’orientation de ma volonté : est-ce que OUI ou NON, je veux être fidèle au Pape et à l’Eglise catholique ; est-ce que OUI ou NON j’accepte l’autorité de l’enseignement de l’Eglise comme venant du Christ lui-même – "qui vous écoute, m’écoute" (Lc 10. 16) – même si cet enseignement heurte dans un premier mouvement mes convictions profondes ? Si OUI, je suis catholique, nonobstant les difficultés rencontrées ; si NON, je ne le suis pas (ou plus).

Tu vois donc, chère Nathalie, qu’il est relativement aisé de déterminer si tel ou tel est catholique ou ne l’est pas. Il suffit pour cela de savoir si cette personne fait ou non partie de l’Eglise catholique ; si elle souhaite vivre ou non de ses préceptes et de son enseignement. Il s’agit là d’un fait objectif qui n’implique aucun jugement moral sur les personnes qui en font ou n’en font pas partie. Je ne suis pas catholique parce que je suis meilleur que les autres, mais parce que je crois de tout mon cœur en Jésus-Christ, mon Sauveur, et en l’Eglise catholique par laquelle il communique aujourd'hui la plénitude de ses grâces au monde.

Si des catholiques se comportent de manière indigne de leur foi, il serait donc beaucoup plus juste de les considérer comme de "mauvais catholiques" plutôt que de dire qu’ils ne sont pas catholiques. De même qu’il serait préférable de dire d’une personne généreuse qu’elle est… généreuse, plutôt que de dire qu’elle est catholique, lors même qu’elle ne l’est pas objectivement parlant.


Discussion avec les lecteurs suite à la publication de cet article

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